La Ville

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Hama Arba DIALLO, un exemple dans la gestion municipale et dans le leadership politique

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Cette interview fait certainement partie des dernières accordées par l’homme avant sa disparition tragique le 1er octobre 2014. Lorsqu’il nous recevait dans la matinée du vendredi 29 août 2014, soit un mois presque jour pour jour avant son décès, dans son Bureau de la Mairie de Dori et initialement pour parler de sa commune, Hama Arba Diallo a exprimé sa disponibilité à évoquer tous les sujets que nous souhaiterions. Des succès de la municipalité de Dori à l’avenir du Burkina Faso en passant par son engagement politique, son âge, son combat pour l’alternance et la relève dans son parti, sont autant de questions abordées pendant près de trois quart d’heure avec celui qui était Député-Maire de sa localité et chef de parti politique actif dans l’opposition.

 

Amadou Oury Sanou (AOS) : Présentez-nous la commune que vous dirigez ?

Hama Arba Diallo (HAD) : La commune urbaine de Dori est  située à 265 Km au nord de Ouagadougou, à la frontière avec le Niger. Dori située dans le sahel, est caractérisé par ses chaleurs externes extrêmes et ses problèmes d’eau pendant et après l’hivernage. Nous avons grandi à Dori avec la réalité des pénuries d’eau en saison sèche pendant 9 mois. Pendant l’hivernage, des difficultés énormes liées au fait que Dori est dans une  cuvette, ne permettent pas à l’eau de sortir de la cuvette. Parce que tous les abords de la cuvette constituent la mare de Dori. La mare de Dori qui, comme vous le savez, est un affluent du fleuve Niger. Donc dès qu’il pleut, on était condamné à attendre que la terre de Dori absorbe son eau, pour que les gens puissent  vaquer à nouveau à leurs occupations. C’est ce que nous avons connu. Avec la succession des saisons, immédiatement après la saison des pluies, quand on attend un ou deux mois, il n’y a pas une goutte d’eau dans une zone qui en a besoin. On a besoin d’eau pour abreuver nos animaux, on a besoin d’eau pour faire la pèche, on a besoin d’eau pour la culture maraichère, on a besoin d’eau pour de nombreuses autres activités propres à la ville à savoir, les besoins en matière de consommation et pour différents services y compris les constructions. En conséquence, tout le monde attendait que la saison des pluies s’arrête pour se jeter sur la mare. C’est de cette situation que nous avons héritée lorsque nous sommes venus aux affaires. Nous sommes à notre deuxième mandat et rassurez-vous, nous on ne fera pas comme les autres. On va finir, on va savoir finir également. Quand nous sommes venus, nous nous sommes dit que la première chose à résoudre, c’est d’abord le problème d’accès à l’eau potable et ensuite l’assainissement.

 

 

AOS : Qu’est-ce qui vous a motivé justement à mener ce combat ?

HAD : Sans taquiner qui que ce soit, je dois avouer que c’est ce que j’ai vu à Ziniaré qui m’a beaucoup inspiré. Parce que moi j’ai connu Ziniaré avant le locataire de kosyam[1] et on a toujours vu comment est-ce qu’à travers ces quinze (15) dernières années, Ziniaré est devenue une ville coquette où il doit faire certainement bon vivre, en tous cas, mieux vivre qu’avant. Et également on s’est dit que du point de vue urbanisation, si nous qui sommes originaires de ces coins reculés qui sont la périphérie de la périphérie d’un pays périphérique, si  nous autres on n’accepte pas de s’investir dans ces zones, qui va le faire à notre place. Et c’est un peu la raison pour laquelle, même si je faisais mes va-et-vient, parce que ça fait quand même quarante (40) ans de carrière internationale, je me suis dit que certainement il y’a des problèmes qui sont là. Ce n’est pas moi qu’ils attendent pour les solutions, mais à chaque fois que je venais à Dori ici, je voyais ces problèmes et je voyais qu’ils ne bougeaient pas parce que ceux qui étaient aux affaires avaient d’autres priorités. Donc c’est vraiment par conviction que je me suis engagé. Je profite de cela pour faire un appel du pied aux cadres de notre pays qui vivent dans la Zone du bois et à Ouaga 2000. Leurs villages les attendent. Il faut qu’ils sachent, que ce soit les gens de Ndorolla, de Orodara ou de Diapaga, si les ressortissants de ces coins-là ne vont pas labàs pour relever le défis, j’ai le sentiment que nous allons nous faire beaucoup de tort. Parce que pour le développement de ces contrés-là, il ne faut pas condamner les gens à quitter leurs villages pour aller s’agglutiner a Bassinko ou ailleurs. Il ne faut pas les condamner à cela et pour qu’ils ne sentent pas condamner à cela, il faut bien qu’on améliore les conditions de vie dans les différentes localités du pays. Je pense qu’il ne faut pas attendre patiemment que d’ici 2030, plus de 60% de notre population soit dans les zones urbaines.

 

 

AOS : En briguant la Mairie de Dori en 2006,  vous aviez certainement des ambitions, sept (07) ans après, quelles sont vos souhaits pour votre ville ?

HAD : J’estime que du point de vue de ce qu’il fallait faire pour aider à améliorer les conditions de vie des populations, surtout des femmes et des filles qui sont d’habitude condamnées à des tâches ménagères à  savoir, aller chercher l’eau et les moyens nécessaires pour faire la cuisine en négligeant d’autres opportunités, les ambitions étaient limitées à deux ou trois. Il s’agissait d’abord d’assurer l’eau potable et ensuite l’assainissement. Nous sommes dans une zone d’élevage et si on résout le problème de l’eau pour la cité et pour la commune, du coup les autres besoins en matière d’activités principales sont gérés correctement. Donc, c’est d’abord l’eau en zone sahélienne, ensuite l’assainissement. Et je pense qu’à ce niveau-là, nous y avons mis suffisamment d’efforts au point qu’aujourd’hui on peut constater les résultats auxquels nous sommes parvenus.

 

 

AOS : Comment se porte aujourd’hui le conseil municipal de la ville de Dori quand on sait que cette instance a peiné à fonctionner durant votre premier mandat après les municipales de 2006 à cause des rivalités politiques?

HAD : Le conseil municipal se porte bien. Et je pense qu’il y’a lieu de le redire. La majorité se comporte comme une majorité et l’opposition se comporte aussi comme une opposition. Et chez nous, l’opposition c’est le CDP. Nous, on est en train de prier pour que l’exemple de Dori fasse tache d’huile au niveau national. Ce n’est pas encore le cas, mais j’ai le sentiment qu’avec les résultats enregistrés à la fin de notre première mandature, la population de Dori, même si ce n’est pas accepté de plein cœur, s’est résignée à vivre avec ce que nous proposons comme approches, comme solutions aux problèmes de la ville de Dori et bien sûr de la Province du Senou. On nous a donnés l’occasion en tant que parti qui était d’abord à la limite de la majorité d’être maintenant largement majoritaire. On nous a donnés la chance de montrer ce que nous savons faire et nous nous sommes mis à la tâche et c’est vraiment aux résultats que les gens nous ont jugés et nous espérons que c’est aux résultats également qu’ils vont nous juger prochainement si nous sommes candidat pour les prochaines échéances. Je ne vais pas parler comme l’autre, on n’a pas d’article 37 ici. Cela ne figure pas encore dans le code des collectivités. Donc, je considère que si je finis mon deuxième mandat, on verra ce qui qu’il y’a lieu de faire. Je vous assure que c’est vraiment d’une manière consensuelle que nous sommes en train de réaliser ce que nous sommes en train de réaliser. Et que chacun y trouve son compte, que ce soit les jeunes, les vieux ou les femmes, que ce soit les éleveurs ou les agriculteurs. En réalité chacune des actions que nous entreprenons, sont des actions qui ont fait l’objet de discussion, d’échange divers. Et ce que nous sommes en train de faire est vraiment le résultat d’un consensus auquel beaucoup de gens adhérent.

 

 

AOS : De façon concrète, quel changement vous-même pensez avoir apporté à la ville de Dori ces dernières années ?

HAD : Du point de vu changement, c’est quand même montrer que la ville de Dori a des ambitions et que nous avons suffisamment de talents pour garantir leur mise en œuvre. Bien-sûr, nous avons l’accompagnement dont nous avons besoin de la part de nos partenaires techniques et financiers. Dieu merci, nous avons pu bénéficier de leurs soutiens. La plupart des projets importants que nous avons initiés ont reçu le soutien de nos partenaires. Certains sont en cours d’exécution, d’autres sont terminés. Je veux parler en particulier de ce que nous avons fait en matière d’assainissement. Vraiment, nous avons investi beaucoup d’efforts en la matière, que ce soit au niveau de la commune ou avec le soutien du gouvernement notamment dans le cadre des festivités du 11 décembre. Nous avons bénéficié d’infrastructures assez importantes de la part du gouvernement, cela nous a vraiment permis de consolider ce que nous avons comme acquis, surtout en matière d’assainissement. Il y’a toujours de la place pour des améliorations, à tel point qu’aujourd’hui nous sommes suffisamment à l’aise. On se dit que quel que soit la goutte d’eau qui tombe à Dori, elle est prise en charge et acheminé vers sa destination finale. C’est d’ailleurs ce qui nous permet maintenant de voir davantage comment améliorer la qualité de la vie au niveau de la commune, et surtout en direction du monde des villages qui sont rattachés  à Dori. Nous avons quand même près de 80 villages, qui sont rattachés à la ville de Dori, qui ont eux aussi besoin d’avoir accès à l’eau potable, d’avoir accès à l’assainissement et surtout d’avoir accès à un accompagnement pour les activités principales qu’ils entreprennent notamment dans le domaine de l’élevage.

 

 

AOS : Aujourd’hui, on voit des mares aménagées en espaces de loisirs, d’où est ce qu’est venue l’idée et quel est le problème que ces aménagements sont venus résoudre dans la ville de Dori ?

HAD : Nous avons pu bénéficier de l’accompagnement de bureaux d’études pour ces travaux. Il y en a deux. Le premier projet a été incité et soutenu par ONU-Habitat. Quand nous les avons approchés en 2007 en disant « venez, venez, vous n’avez pas de raisons de ne pas venir nous appuyer ici », ils sont venus, ils ont découvert qu’il y’avait des problèmes et ils se sont dit, « Procédons par la première étape ». Et  la première étape étant l’étude. Moi, ce n’était pas ce que je voulais. Je pensais qu’on connaissait suffisamment le problème et qu’il fallait mettre directement la main à la poche pour permettre de résoudre les problèmes mais ils ont dit « non, faisons pas à pas » et nous les avons suivis. Donc il y’a une première étude qui a été faite par ONU-Habitat et une deuxième étude qui a été faite par un consultant qui s’appelle Alain Bougma qui nous a fait une étude excellente du point de vue de la gestion de l’eau au niveau de la ville de Dori. Gestion de l’eau non seulement au niveau de la grande mare, mais également gestion de l’eau au niveau des mares intérieures parce qu’il y’a sept (07) mares à l’intérieur de la ville qu’il fallait aménager séparément mais tout en tenant compte du fait qu’elles sont liées entre elles. Les eaux vont en fait d’une mare à l’autre avant de déboucher sur la grande mare. Nous avons donc suivi ces experts qui nous ont fait des recommandations que nous avons suivies. Nous avons pu surtout bénéficier du soutien premièrement de l’Union Européenne qui nous a permis d’aménager les deux première mares qui sont tous juste à côté de la Mairie. Ensuite, la coopération suisse est intervenue pendant deux ans et a aidé à aménager les cinq (05) autres mares intérieures que nous avons, à savoir celles qui sont sur la route de Seba et la chaine de trois (03) mares à côté de l’Inera. La chaine de trois mares, c’est là où toutes les eaux de Dori se jettent avant d’aller dans la grande mare. Nous vivons actuellement les derniers jours du projet qui doit prendre fin le 30 août 2014. Tout s’est très bien passé. Toutes les entreprises ont joué le jeu et ont fait vraiment le travail  en conformité avec ce qui avait été envisagé avec comme résultat qu’aujourd’hui avec ces mares aménagées, toutes les eaux au niveau de la ville de Dori sont canalisées pour aller soient vers les mares intérieures ou vers la chaine de trois mares située vers la partie Nord de la ville. Aujourd’hui du point de vue de l’assainissement, à moins de pluies exceptionnelles, au-delà de 120 et 150 mm, nous pensons que toutes pluies  moyennes ou même supérieures peuvent être gérées correctement. Bien-sûr avec le changement climatique, il faut s’attendre à tout. Mais en tout cas, aujourd’hui nous vérifions que le système fonctionne bien et nous pensons  d’ailleurs que c’est quelque chose qui vaut la peine d’être filmée et présentée comme étant une méthode de gestion de ces eaux, des eaux dont on a besoin mais dont on ne dispose pas pendant longtemps. Quand on aura aménagé la grande mare, d’ici deux ou trois ans, elle permettra non seulement d’abreuver les animaux, de faire les cultures maraichères, de faire la pèche et les autres services dont on a besoin en matière de construction. Mais comme vous le savez, l’eau de boisson de la ville de Dori vient de Yakouta. C’est à 15km sur la route de Djibo. C’est un barrage qui a été aménagé en 2004 et qui assure l’approvisionnement en eau potable de la ville de Dori. D’ailleurs on est même en train d’envisager maintenant de servir également les villes de Gorom-Gorom, Gorgagji, Bani, Falagountou parce que la quantité d’eau disponible suffit pour cela et comme ce sont des zones qui n’ont, ni eau de surface, ni eau souterraine, je pense que c’est l’occasion pour nous de partager ces acquis-là de manière à ce que le besoin d’eau potable être satisfait a tous ces niveaux.

 

 

AOS : Vos concitoyens que nous avons rencontré formulent beaucoup d’attentes à votre endroit, les femmes veulent surtout une meilleure répartition des crédits alloués aux femmes et appelés « argent de blaise », que répondez-vous à ces attentes ?

HAD : Je crois que pour « l’argent de Blaise », il faut qu’ils aillent à Ziniaré. C’est à Ziniare qu’ils seront fixés sur ce que blaise a fait de son argent. Mais nous, nous considérons que ce qui peut être fait d’une manière républicaine, on le fait d’une manière républicaine. Même si on n’a pas le mécanisme qu’il faut, il  faut continuer à chercher d’autant plus que c’est vraiment nécessaire et ça peut aider ces femmes là à s’épanouir du point de vue des activités etc. Nous sommes en train de voir qu’est-ce que nous pouvons faire en la matière. Ce n’est pas facile, parce que la campagne que l’on a entendu il y a un mois ou deux, c’est une campagne avant la véritable campagne, mais nous pensons que ce n’est pas honnête. Ils savent que les besoins sont là, ils savent qu’ils ont le pouvoir, ils savent qu’ils ont l’argent, ils savent qu’ils ont suffisamment emmagasiné de l’argent au point qu’ils pourraient se permettre de prendre même si un centième des milliards qu’ils ont amassé sur le dos de notre peuple, pour le partager. Mais nous disons simplement qu’ils ont soulevé un vrai problème, on espère qu’ils auront le courage d’aller jusqu’au bout, de contribuer à la solution du problème, sans régime CDP. Nous pensons que le CDP, après trente année de pouvoir, c’est le moment pour lui aussi de plier bagage et d’aller ailleurs. Mais on va demander aux partenaires de voir ce qu’on peut faire pour nous aider à subvenir à ces besoins qui sont des besoins réels en matière d’accès aux crédits. Ici, les crédits sont très prisés d’autant plus qu’il y a beaucoup qui font le commerce autour des animaux, autour des activités agro-pastorales et commerce également autour du lait et des produits laitiers qui sont très importants dans la localité. Donc nous continuions à chercher ensemble avec les populations et nos partenaires pour trouver des solutions les plus adaptées aux conditions qui prévalent ici.

 

 

AOS : De nombreux projets d’assainissements à Dori ont bénéficié de financements, on suppose que cela est lié à votre profil d’ancien fonctionnaire des Nations Unies, quels sont les secrets du Maire que vous êtes en matière de recherche de financement ?

HAD : Je pense que j’ai eu la chance d’être un fonctionnaire des nations Unies pendant une quarantaine d’années dans ce domaine que j’avais choisi en raison des conditions qui prévalent ici. Donc, j’étais impliqué depuis les années 60 dans ce qu’on avait considéré à l’époque comme étant la gestion des problèmes de sècheresse et désertification. J’ai continué parce que c’est une question d’intérêt primordial au niveau du Sahel. J’ai continué dans ce domaine pendant que d’autres font autres choses. Je considère qu’à ce niveau, j’ai eu la chance d’avoir un certain nombre de contacts que j’ai maintenus à travers ma carrière et que j’ai eu à utiliser maintenant comme références pour leurs demander de venir nous aider,  nous accompagner, dans la gestion des problèmes que nous avons. C’est une chance de pouvoir trouver ces gens-là et trouver qu’ils sont disponibles, qu’ils nous font confiance parce que c’est également une question de confiance. Et ils sont venus voir ce que nous sommes en train de faire, par rapport à ce que nous avons eu à poser comme doléances particulières. Ils ont constaté que les ressources qu’ils ont acceptées mettre à notre disposition sont des ressources qui ont été utilisées d’une manière judicieuse. En général, ces partenaires-là aiment que l’on montre que ce que l’on présente comme problèmes sont des problèmes qui ont des solutions et que les solutions que nous appliquons sont des solutions qui sont connues de tout le monde et peuvent être testées. Ce que nous avons fait peut être répliqué ailleurs, et c’est un peu cela que nous considérons comme étant une leçon assez intéressante que nous sommes prêts à partager avec les autres maires au niveau de l’AMBF en leur disant « venez, venez, faite un effort parce que si vous ne faites pas d’efforts, personne ne peut le faire à votre place ». Moi je ne vais pas aller à Niangologo ni à Orodara pour faire quoi que ce soit. Ces localités ont leurs élus. C’est à eux également de faire preuve d’initiatives pour montrer leur dynamisme aux partenaires parce que malheureusement, le système international est fait comme ça. Il faut prouver aux partenaires que l’on va vraiment faire ce pour quoi on demande des ressources. Et ils vont venir pour vérifier voir, s’assurer que les ressources qui ont été mise à votre disposition sont utilisées en conformité avec les raisons pour lesquelles on avait demandé ces soutiens-là. Je pense que c’est pour l’essentiel ce que nous avons fait. Ce n’est que le début parce qu’avec l’avènement du changement climatique, il y a plus à faire, dans des conditions très difficiles et les résultats sont des résultats qui se font souvent attendre. Ça prend du temps mais nous sommes maintenant beaucoup plus impliqués dans les problèmes de l’environnement. Vous devrez visiter notre forêt communale, plus de 400 ha. Nous avons essayé d’aménager une zone qui puisse protéger la partie Nord de Dori contre les vents de sables qui sont très courant pendant les mois d’octobre-novembre-décembre. Nous allons continuer de la sorte, et de manière à montrer vraiment que nous pouvons de ce côté-là, non seulement nous protéger mais aider les paysans que nous avons à également s’investir en matière d’agroforesterie parce que c’est le seul moyen par lequel, avec les changements climatiques, ils peuvent mieux s’adapter aux conditions qui sont en train de nous être imposées. Ce n’est pas nous qui avons créé les changements climatiques. Nous n’en sommes pas les causes, ce sont les pays développés qui l’ont fait. Mais nous sommes les premiers à subir ses conséquences et nous sommes les plus vulnérables parce que nous sommes sur la ligne de front. Il faut assumer, il faut aller jusqu’au bout avant que les gens ne se décident à venir nous appuyer. Pour le moment avec les moyens de bord, il faut qu’on aille vraiment de manière volontariste  à l’assaut de ce problème parce que personne d’autre ne le fera à notre place.

 

 

AOS : A vous entendre, on croirait que vous ne rencontrez aucune difficulté dans la mise en œuvre des projets de développement que vous initiez. Comment arrivez-vous à faire accepter vos entreprises à la population ?

HAD : Vous verrez qu’il y a beaucoup d’animaux qui circulent dans la ville. A Dori, il y a 30 000 habitants et sur ces 30.000 habitants,  il y a 20.000 qui font de l’élevage à domicile. Cet élevage à domicile c’est quoi ? Ce sont des vaches laitières que chacun tient à avoir chez soi, pour pouvoir les traire et subvenir d’abord aux besoins en matière de  consommation de lait. Deuxièmement, il s’agit de dégager assez, de point de vue production, pour pouvoir subvenir aux besoins financiers. Cette économie fonctionne en pleine ville, ville moderne, avec tous ce qu’il y a comme risques sanitaires. Mais il faut faire avec et nous essayons de faire avec en attendant qu’on trouve une solution pour nous permettre de faire comme nous le faisions quand on était jeune à Dori. A l’époque, les animaux étaient gardés par quartier au niveau de la périphérie de la ville. Maintenant il n y a plus de périphérie. Tout est occupé  et par conséquent, tout devient de plus en plus difficile. Donc le problème est lié à l’élevage en zone urbaine et Dori a été toujours reconnue comme étant une ville rebelle, des populations qui n’ont jamais été d’accord avec le pouvoir central. Moi ça m’a aidé parce que  pendant 50 ans, j’étais dans l’opposition. J’ai passé deux années au pouvoir en 1983 et 1984.  Sinon, tout le reste de ma carrière politique qui fait 50ans, j’étais dans l’opposition. Mais on a pu réaliser ici a Dori un système qui semble marcher en faveur de l’opposition et nous essayons d’être a l’écoute de la population. Nous leur disons qu’il y’a un certains nombres de mesures que l’on peut envisager qui sont nécessaires, notamment l’accès aux crédits, l’accès à l’habitat et l’accès aux champs parce que ce sont de nouveaux défis auxquels il va falloir faire face. Dans le cadre de réformes foncières, cela est prévu mais ce n’est pas encore appliqué et nous espérons pouvoir être ceux qui vont être les pionniers dans ce domaine. Par ailleurs, nous continuons d’hésiter à nous lancer dans les lotissements parce que pour les maires, c’est la voix la plus courte vers la prison. Nous avons évité d’en faire jusqu’à présent mais il va falloir se résigner à les faire nous aussi, tout en essayant d’être équitables pour que chacun puisse avoir ce à quoi il a effectivement droit.

 

 

AOS : La région du Sahel est reconnue comme celle où les pesanteurs socio-culturelles résistent aux actions de sensibilisations sur le terrain surtout en matière d’éducation, comment l’intellectuel que vous êtes vivez tout cela?

HAD : Je le reconnais volontiers, nous avons toujours attaqué ces tares de notre système éducatif qui est le produit même du système colonialiste et néocolonialiste que nous avons non seulement hérité, mais que nous sommes en train de tout faire pour perpétuer.  La vraie révolution dans l’éducation, on n’y est pas encore, mais on ne peut pas faire l’économie de cette révolution. Moi je suis allé à l’école à l’âge de 9ans. J’ai grandi ici à Dori et mes parents ne voulaient pas que j’aille perdre mon temps à l’école. Ils préféraient me voir garder les montons au niveau de mon village jusqu’à ce que le système me rattrape. J’ai fini par aller à l’école. Depuis là, je n’’ai pas encore échappé aux conséquences de cette scolarisation. Les problèmes sont là et on ne peut pas  ignorer le fait que pour la modernisation, pour la modernité, on ne peut pas éviter l’école. Chez nous ici, on se dit qu’il vaut mieux aller à l’école coranique et après l’école coranique continuer à avancer. Mais on n’avance nulle part dans ce système que nous avons ici. Si vous n’allez pas à l’école du blanc (Nom donné à l’école française), vous n’allez nulle part. Les problèmes sont là et il faut discuter, il faut échanger, il faut trouver la solution qu’on n’a pas encore trouvée. Du point de vue fréquentation de l’école, nous enregistrons les taux les plus faibles au niveau national. Du point de vue scolarisation, nous avons aussi les taux les plus faibles au niveau national. Ceux qui vont à l’école ne restent pas à l’école. 95% d’entre eux abandonnent. Cela rassure malheureusement ceux qui se disent qu’il n’y a rien à faire avec ce système-là et ne nous fait pas avancer. C’est ça le nœud du problème avec ses conséquences bien visibles. On a un taux de chômage qui dépasse de loin la moyenne nationale. Il y a des gens qui sont là, qui ne savent pas faire grand-chose parce qu’ils n’ont rien appris. Beaucoup sont entrés à l’école et y sont restés un ou deux ans avant d’en ressortir. Ils sont là à attendre, attendre quoi personne ne sait.

 

 

AOS : Quelles pourraient être les solutions de cette situation selon vous ?

HAD : Je crois que là, c’est au niveau national qu’il faut trouver la solution à ce problème qui n’est pas propre au Sahel. Nous au plan politique, nous avons fait des propositions,  mais  malheureusement le parti qui est au pouvoir en a décidé autrement. Il faut revoir les choses et on espère que les prochaines échéances électorales nous donneront l’occasion de reposer le véritable problème et de trouver les solutions. Maintenant nous sommes dans un cul de sac, on ne peut aller nulle part et le système est bloqué. Nous sommes les valets de l’impérialisme international qui nous a subjugués. Nous sommes les marginaux des marginaux, on a nulle part où aller et ce n’est pas en cultivant le petit mil ou le coton chez les Bwabas qu’on va aller plus loin. Je crois qu’on est vraiment à la croisée des chemins et il va falloir qu’on se dise que si on ne met pas tout  cela à table pour trouver la véritable solution, nous courons vers le mur.

 

 

AOS : Vous êtes un responsable de parti politique très actif dans l’opposition et vous êtes Député à l’Assemblée nationale, comment trouvez-vous le temps pour vous occuper de la Mairie de Dori ?

HAD : J’essaie de faire le tour en même temps. Très certainement que l’âge va finir par me rattraper. J’ai quand même 75 ans, près de 50ans que je suis dans la vie active parce que j’ai fini mes études en 1965. Ca suffit comme ça. Mais en attendant la relève, on ne va pas abandonner. S’il y a des jeunes qui veulent notre place, il faut qu’ils se battent pour notre place. Et nous pensons qu’il y’a beaucoup à faire. Nous faisons ce que nous pouvons, mais il y a une limite physique à tout cela. Nous espérons que nous allons trouver des moyens pour que la relève soit assurée que ce soit au niveau de notre parti ou au niveau de l’opposition ou au niveau national.  Les problèmes sont là et malheureusement les solutions sont limitées. Il faut qu’on arrive à montrer effectivement que les solutions que l’on prêche par si et par là, sont des solutions qui sont exécutables et c’est ce que nous avons essayé de montrer à Dori. C’est la preuve que l’opposition peut venir au pouvoir que ce soit au niveau national ou au niveau local et montrer qu’elle peut cerner les problèmes et trouver des solutions à ces problèmes. Cela est possible mais il faut qu’on le fasse.

 

 

AOS : Un mot maintenant sur l’évolution du processus de décentralisation au Burkina. Comment appréciez-vous le chemin parcouru ?

HAD : La décentralisation, on fait semblant d’y croire mais beaucoup de gens n’y croient pas encore, y compris les chevilles ouvrières de notre administration. Que ce soit le Ministère en charge de l’administration ou que ce soit le Ministère de l’Economie et des finances, ils sont au courant des blocages auxquels on se heurte. Mais est-ce qu’ils sont prêts à lever le pied sur la pédale et à nous laisser faire. Je pense que c’est un peu dommage. On lâche du lest petit à petit, ça ne suffit pas. Il y’a des pouvoirs, des responsabilités qui ont été décentralisés surtout même qui ont été transférés notamment dans le domaine de la santé et de l’éducation, mais c’est très peu parce que les besoins sont là et vous voyez le système que nous avions avant. Un système impérialiste français dans lequel du point de vue de la santé ou de l’éducation, on faisait le minimum. Les ressources qui sont disponibles ne suffisent jamais pour subvenir aux vrais problèmes. Conséquence, on faisait semblant, on donne ce qu’on a, ce qui n’est pas beaucoup ni suffisant et nous dans les zones comme la nôtre, il faut qu’on fasse le maximum. Résultat, du point de vue des salles de classe ça ne suffit pas. Le matériel aussi ne suffit pas. Les marchés sont mal exécutés parce qu’on les attribue aux moins-disant. Généralement, c’est le plus malin qui offre les prix les plus bas et qui remporte le marché. Alors, il ne faut pas être surpris que dès la première saison des pluies, les tôles s’en vont comme des feuilles de cahier et le problème est là. C’est aussi le cas des fournitures scolaires. Le moins disant sait quel est le prix confidentiel, il fait son offre en bas de ce seuil confidentiel. On ne peut pas lui refuser le marché. Résultat, il gagne et il va tourner en rond non pas pendant un ou deux mois mais six mois et souvent un an. En matière de santé c’est la même chose. Donc au lieu de continuer encore à transférer ces pouvoirs sans ressources, il faut essayer de s’assurer que toutes les conditions sont réunies pour que les responsabilités qui ont été transférées fonctionnent effectivement. Et même quand on regarde la création des nouvelles communes dans le cadre de la communalisation intégrale, à l’évidence ça n’a pas marché. Pourquoi s’entêter à faire ce qui n’a pas marché ? Pourquoi ne pas faire un bilan sans complaisance de ce qui a été fait ? L’intention est bonne sans aucun doute et on se dit que si on nous avait donnés un peu plus de ressources, surtout dans les domaines de l’éducation et de la santé, on ne ferait pas de miracles mais on arriverait à mieux subvenir aux besoins de ces populations qui sont des besoins légitimes. Et pour un pays comme le Burkina, si on pouvait simplement se transformer en pays qui produit des cadres, qui vent ces cadres ou qui les place, c’est un moyen comme une autre, ça serait bien. C’est comme les sportifs dans certain cas, mieux vaut être un bon joueur de basket que d’être un agrégé de grammaire ou un agrégé de Physique-Chimie, ça paye plus. Ce sont là des opportunités que nous avons. La décentralisation nous a permis de toucher du doigt les problèmes réels et objectifs des populations. Il ne sert à rien de faire semblant que les problèmes n’existent pas. Ils sont là et on ne demande pas de  les satisfaire tous.  Le peu de ressource que nous avons, si on peut s’assurer que ces ressources sont utilisées à bon escient et à temps, parce qu’il ne sert à rien de venir en plein milieu des cours avec des fournitures scolaires qui étaient destinées au mois de septembre, octobre. On connait les problèmes et on connait les solutions, il faut donc qu’en toute bonne fois, on s’engage ensemble à mettre en œuvre ces solutions qui peuvent être de nature à nous aider à résoudre les problèmes qui sont posés.

 

 

AOS : En dehors de toute autre considération, quelle analyse faites-vous de la situation politique actuelle du Burkina Faso et quel regard portez-vous sur l’avenir politique national ? 

HAD : Malheureusement pour beaucoup de mes détracteurs je suis un sage mais un sage révolutionnaire. Je n’ai pas perdu ma fibre révolutionnaire parce que, ce n’est pas à 75 ans que l’on peut changer. Je n’ai pas changé d’avis. J’ai le sentiment que notre pays ne peut pas faire l’économie d’une transition, qui est fondamentale, qui est nécessaire de manière à ce que nous maintenant, nous sommes mobilisés autour de l’alternance que nous demandons. Et on se dit qu’après 30 ans de régime sans partage de Blaise Compaoré, le moment est venu pour nous de changer, de tourner la page de manière à ce que d’autres puissent venir démontrer qu’ils peuvent mettre leurs talents à la disposition du pays. C’est l’ambition que nous avons, que cette alternance puisse nous donner l’occasion de montrer à ce pays que nous avons suffisamment de talents qui sont capables d’offrir, l’occasion de rêver et de montrer que l’on peut arriver à faire mieux que ce que nous sommes en train de faire maintenant. Je crois que c’est ça qui est le principal enjeu maintenant. Quel que soit mon âge, on va aller. On s’est battu et on a toujours cru en la révolution. Nous continuons à y croire. Ce n’est pas maintenant que nous allons changer d’avis, il est d’ailleurs trop tard pour cela. On va y aller même si nous ne sommes pas aux commandes. On n’a même pas besoin d’être nous-même aux commandes. L’essentiel est que ce qui est bon pour notre peuple, mettons-nous d’accord la dessus et faisons le. C’est un peu ce que nous voudrions essayer de préconiser et accompagner au besoin les fils et les petits fils qui sont là pour qu’eux même prennent les devants. Mais on ne va pas s’écarter pour qu’ils prennent les devants, on veut qu’ils viennent nous bousculer pour se mettre au-devant et montrer qu’ils peuvent faire mieux que nous. C’est ce que nous avons essayé en vain de réaliser depuis plus de 50 ans. C’est à eux de mériter les places qu’ils veulent. En disant, nous maintenant, on a 75 ans, on va se mettre de côté, ce n’est pas comme ça la politique. On a tenté au niveau de notre parti, on a essayé d’amener les jeunes, on continue à se rajeunir au niveau de la direction de notre parti. C’est un exercice qui va durer longtemps. Les enjeux auxquels nous sommes confrontés est le fait que le parti majoritaire a une mainmise totale sur le secteur et dans tout le système et ce n’est pas dans l’intérêt du pays. Tout le pays est en coupe réglée entre les mains de ces gens du CDP qui oublient qu’eux aussi sont des fils de ce pays et qu’ils ne vont pas partir du pays avec tout ce qu’ils sont en train d’amasser comme moyens, comme ressources au mépris des intérêts de notre pays. Nous disons tout simplement que notre pays a besoin d’une nouvelle vue, d’une nouvelle vision, de nouvelles ambitions pour être prêt pour le Burkina de demain, l’Afrique de demain et c’est le prix à payer, sinon on regrettera le moment venu de n’avoir pas fait le choix qu’il fallait .

 

 

AOS : Qu’est-ce qu’il faut précisément faire aujourd’hui ?

HAD : Nous, ce n’est pas contre Blaise Compaoré. Nous pensons que nous avons une constitution et cette constitution a bien prévu qu’au bout du mandat actuel, M. Compaoré ne peut plus se représenter.  Mais Compaoré est en train d’être présenté par  un parti qui est au pouvoir. Dans ce parti, il n’y’a pas de gens susceptibles de jouer ce rôle-là qu’ils ont confié maintenant à Compaoré ? Ou bien, ils ont pensé que nous sommes en pays mossi. Si on donne le pouvoir à quelqu’un, tant qu’il est vivant, il faut qu’il reste au pouvoir. Pour nous, il n’y a pas que ce système. Si on se dit démocrate, il faut jouer le jeu de la démocratie jusqu’au bout. Mais Compaoré est là, moi j’ai été au gouvernement avec lui en 1983 et 1984. Je considère que ce n’est pas une question de personne ce n’est pas une question personnelle. Il a fait son temps, il a fait 30 ans. Il y’a des gens qui sont entrain de grandir dans ce pays qui n’ont connu que lui à leur naissance. Ceux qui sont né en 1987 et 1988  n’ont connu que lui. Nous sommes dans un système qui se dit moderne, nous sommes des démocrates modernes. Quand tu regardes autour de lui aujourd’hui, même si on parle d’homme fort, ce sont des hommes forts aux pieds d’argile. On a vu des gens qui étaient plus grands hommes qui ont donné des exemples de responsabilité, de sincérité, de leaderships  qui seront admirés pendant longtemps encore bien après leur départ de la scène politique.

 

 

AOS : Nous sommes à la fin de notre entretien, est-ce qu’il y a une chose que vous aurez voulu dire et qui n’a pas été dite ?

HAD : Ce que je voulais dire est que vraiment, nous avons un pays où on a la chance d’être ouvert, on a eu des leaders qui nous ont beaucoup aidés à avoir une perception patriotique du devenir de notre pays.  Moi je pense que ces chemins qu’ils ont aidé à tracer sont des chemins encore très important pour nous et que le moment est venu de nous dire qu’il faut que nous mettons les intérêts  de notre pays au-dessus de tout et le seul élément qui vaut la peine d’être jugé correctement par chacun d’entre nous est : « Est ce que oui ou non, ce que nous voulons faire est pour l’intérêt de notre pays ? » Et si la réponse c’est « oui », allons y ensemble et par consensus. Et si le doute est là, si le doute persiste, il vaut mieux s’abstenir de le faire. Parce qu’on le regrettera tôt ou tard et ce sera trop tard. Donc, c’est pour cela que nous disons,  allons y ensemble, c’est le moment, le bon moment, évitons tous dérapage et sachons également saisir l’opportunité que nous avons devant nous de construire ensemble le Burkina de demain.

 

 

Entretien réalisé par Amadou Oury SANOU

sanouamadou@hotmail.com

70351627



[1] Blaise Compaoré au moment de l’interview.



06/07/2015
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