Les collectivités territoriales dans la transition politique en cours au Burkina Faso : Les propositions de Raogo Antoine SAWADOGO
L’homme est un spécialiste reconnu de la décentralisation. Ancien ministre, ancien responsable de la Commission nationale de la décentralisation, Raogo Antoine SAWADOGO fait partie des personnalités qui ont rédigé les premiers textes du processus en cour au Burkina Faso. En cette période trouble sur l’avenir politique du pays, de nombreuses questions se posent sur le sort des collectivités territoriales malgré le récent communiqué en date du 06 novembre 2014 de la transition demandant aux exécutifs municipaux et régionaux de continuer à assurer la gestion courante des affaires locales. Mais les communes et les régions peuvent-elles continuer à fonctionner comme avant dans cette période transitoire dans laquelle le Burkina s’apprête à enter ? Sur la question, nous vous permettons de lire en intégralité le document portant sur les propositions de celui qui est le Président du Laboratoire Citoyennetés.
Les collectivités territoriales dans la transition politique en cours au Burkina Faso : propositions pour un approfondissement des acquis de la décentralisation
La Constitution du 02 juin 1991 dispose que le Burkina Faso est organisé en collectivités territoriales. Depuis le 31 octobre 2014, le Burkina Faso fonctionne sans base constitutionnelle. En effet, suite à une insurrection populaire, la Constitution a été suspendue, le gouvernement et l’Assemblée nationale dissous. La direction des affaires de l’Etat a été confiée à un pouvoir de transition dont la durée et les contours de gouvernance n’ont pas encore été définis. La reprise partielle ou totale de la gouvernance politique à travers l’exécution des activités quotidiennes suppose soit la levée de la suspension constitutionnelle, soit la création d’organes d’exception chargés de la gestion politique de l’Etat. Cette situation exceptionnelle pour notre pays intervient dans un environnement social et politique où la décentralisation s’est fortement installée. Quels sont les scénarii auxquels les CT pourraient faire face, et quelles solutions envisagées pour sauvegarder, voire approfondir, la gouvernance locale ?
Pendant la période de transition en cours, trois cas de figure se pourraient se présenter aux collectivités territoriales dans leurs missions de gestion des affaires locales.
Premier cas de figure
Les conseils municipaux et régionaux sont dissous ou suspendus et remplacés par des organes de gestion provisoires d’exception
Dans ce premier cas de figure, où les conseils municipaux et régionaux sont dissouts ou suspendus par les autorités de transition, les collectivités territoriales sont placées sous la gestion d’organes d’exception (ce sont souvent des délégations spéciales) chargés de la gestion administrative et politique des collectivités territoriales. La tutelle en ce moment prend les dispositions spéciales pour assurer le fonctionnement adéquat des collectivités territoriales durant cette période transitoire.
La dissolution ou la suspension des conseils élus des collectivités territoriales peut bien se comprendre du fait des considérations suivantes :
ـ le fait que leur existence découle de la Constitution, et qu’ils perdent ainsi leur source de légitimité avec la suspension de la Constitution ;
ـ le fait que l’insurrection populaire peut apparaître comme un signe de désaveu du système de gouvernance politique qui prévalait, source de conflits électoraux entravant la gouvernance locale dans certaines collectivités, ainsi que des dérives de gestion de certains des responsables de collectivités ;
ـ le fait que les évènements des journées insurrectionnelles ont révélé un hiatus entre certains responsables de collectivités et les citoyens, rendant peu probable leur capacité à assurer une gestion sereine et cohérente de la cité.
Mais le problème majeur de cette option est que cela équivaudrait à un recul d’au moins vingt (20) ans de la dynamique de la participation citoyenne à la gestion des affaires locales. Plus concrètement, l’on assisterait à :
ـ la mise à l’écart des populations à la gestion des affaires locales ;
ـ la recentralisation de la gestion des affaires locales ;
ـ les missions d’animation et de développement actuellement mises en exergue se flétriront et leur réveil serait hypothéqué, entraînant des conséquences incalculables ;
ـ le risque de perdre les précieuses contributions des partenaires de coopération, en l’absence d’organes de gestion élus pour conduire les affaires des communes et des régions. Tous ces manques à gagner risqueraient de réalimenter des sources de mécontentement des populations en même temps que cela hypothèque nos performances dans l’atteinte des Objectifs du millénaire.
Il est heureux de constater que les autorités actuelles de transition, dans leur communiqué n°9, appellent les collectivités territoriales à assurer la continuité du service. Mais il convient de rappeler que le maintien des CT quel que soit le format de la transition, est un impératif si on souhaite que plusieurs années d’investissement humain et financier au niveau local ne soient remis en cause.
Deuxième cas de figure
Les conseils municipaux et régionaux sont maintenus en fonction jusqu’au terme de leur mandat
Le deuxième cas est celui qui consiste à maintenir en fonction les organes de gestion des collectivités territoriales dans la plénitude de leurs compétences, avec la possibilité de se réunir en sessions de conseil régional ou municipal afin d’assurer la conduite des affaires des collectivités territoriales.
Ce choix permettrait de perpétuer et de renforcer les acquis ci-après :
- la participation effective des acteurs locaux de la décentralisation constitués essentiellement des conseillers régionaux et communaux avec l’appui non négligeable des comités villageois de développement (CVD). Une dynamique participative de la gouvernance locale ayant pris en main la gestion des affaires locales s’est résolument installée à partir des villages et secteurs, et il serait indiqué d’accompagner ces acteurs locaux de développement. De ce fait, la gouvernance locale, gage d’une décentralisation réussie, serait sauvegardée.
- La poursuite des investissements amorcés ou prévus au niveau des budgets régionaux et communaux en matière d’équipement, en infrastructures et autres. En effet, les collectivités territoriales décentralisées (communes et régions) mettent en œuvre des projets et programmes permettant de livrer des services publics de base (eau, éducation, santé, assainissement, pistes rurales, etc.) au profit des populations. Leurs contributions se chiffrent à des centaines de milliards de francs CFA. Les placer sous régime d’exception conduirait à un blocage ou à un arrêt de ces contributions financières et techniques, largement soutenues par les partenaires de coopération, ce qui provoquerait la perte d’un apport vital énorme que l’Etat du Burkina Faso n’aura pas les moyens de suppléer.
- La poursuite de la collaboration combien efficace entre ces collectivités locales et les ONG et surtout avec les partenaires techniques et financiers dont l’apport financier dans le développement local est à souligner. Ceci permet de respecter les engagements avec ces partenaires indispensables.
Par contre, les problèmes à gérer concernent :
- le réveil possible des conflits postélectoraux latents dans certaines communes ou régions (mauvaises élections de maires ou de présidents de conseils régionaux) ;
- la gestion des cas exceptionnels de quelques conseils municipaux dont la gestion par les organes élus est rendue difficile, voire impossible, suite aux évènements insurrectionnels ;
- les risques éventuels de dilapidation des biens communaux par certains responsables sachant leur avenir politique désormais incertain.
Troisième cas de figure : des élections locales anticipées
Les conseils de collectivités actuels devront être renouvelés en 2017. Selon l’agenda politique en discussion actuellement, la période de transition se soldera par l’élection présidentielle en novembre 2015 et probablement par des élections législatives anticipées étant donné que la légitimité de l’Assemblée nationale semble sérieusement entamée. Si cette hypothèse se confirmait, cela signifie que le paysage politique national connaîtra une nouvelle configuration. Dans ces conditions, le maintien des conseils actuels peut poser plusieurs problèmes :
- des blocages au niveau du fonctionnement régulier des conseils par le jeu d’acteurs politiques fortement représentés au niveau national et qui voudraient imprimer leur marque au niveau local ;
- la désapprobation de certains édiles soit par leur propre conseil, soit par les citoyens de leur commune et qui se manifesterait par un rejet des institutions communales ;
- l’incapacité de certains conseils à porter des dynamiques locales consensuelle et acceptées par tous.
A l’opposé, l’organisation d’élections locales anticipées aura l’avantage de redonner une nouvelle légitimité aux collectivités territoriales en instaurant un nouvel équilibre des forces politiques présentes sur le terrain. Mais des élections anticipées ne sont pas non plus sans conséquence :
- la tenue d’élection locale dans le contexte sociopolitique actuel peut raviver des tensions locales liées notamment à la déferlante insurrectionnelle que le pays a connue. De telles tensions peuvent contribuer à diviser profondément les communautés locales et compromettre le développement local tant souhaité
- il y a un risque évident de ralentissement des activités des collectivités territoriales dont les élus seront plus absorbés par les campagnes électorales que le développement de dynamiques de développement
Propositions pour sauvegarder les acquis de la décentralisation
Le bilan des deux décennies de décentralisation démontre qu’il est indispensable de compter avec les collectivités territoriales, si l’Etat central aspire à un développement social et économique équitable. Aussi, le Laboratoire Citoyennetés, organisme qui œuvre depuis 2003 à l’émergence de l’Etat local, opte, d’une part, pour le maintien des conseils de collectivités territoriales durant cette phase de transition.
Une telle option ne serait pas singulière au Burkina Faso. Au Mali, en Côte d’Ivoire, les organes de gestion des collectivités territoriales ont continué à fonctionner pendant les années de crise que ces pays ont connues, avec des situations de suspension de la constitution.
Cela s’explique par le fait qu’une rupture prononcée dans la gestion des affaires locales et le retour à une gestion centralisée ou déconcentrée par la tutelle comportent des conséquences économiques et sociales néfastes.
Maintenir les conseils municipaux et régionaux dans leur rôle de gestion des affaires locales durant cette phase de transition peut être un moyen d’entretenir la sérénité au sein des populations à la base, là où il n’y a pas de problèmes majeurs de gestion.
Pour ce faire, les autorités de transition se doivent de :
ـ prendre des directives appropriées afin que le fonctionnement des collectivités territoriales en cette période soit dépouillé de toute action politique majeure sous l’impulsion et l’implication de partis politiques ;
ـ veiller à la bonne circulation de l’information ;
ـ prendre des dispositions appropriées pour les cas à problèmes, notamment là où il y a des situations de blocage ;
ـ inviter tous les acteurs à la rigueur dans la conduite et la gestion des affaires locales.
D’autre part, nous suggérons des élections locales anticipées couplées aux élections législatives. Ces élections interviendront naturellement après l’élection présidentielle. Une telle option permettra de redonner une nouvelle légitimité à la fois à l’Assemblée nationale et aux conseils de collectivités. Le gain économique que le pays réalisera à travers une telle opération est déjà connu, si on se réfère à l’expérience de 2012. Ainsi, désormais, on aura systématiquement au même moment des élections locales et nationales tous les cinq ans. Le temps que le pays prendrait à organiser successivement trois élections en moins de trois ans s’en trouverait également réduit.
Au plan politique, de telles élections seront dans tous les cas nécessaires pour permettre aux citoyens de se réconcilier avec leurs élus nationaux, mais aussi locaux. Au niveau législatif cela va de soi, dans la mesure où l’Assemblée nationale est dissoute.
De tout ce qui précède, le Laboratoire Citoyennetés propose que, face à l’enjeu politique de légitimité qui pourrait militer en faveur d’une dissolution des conseils de collectivités, soit mis en avant l’enjeu de développement social et économique local, afin de sauvegarder des acquis de la décentralisation en maintenant en fonction les conseils municipaux et régionaux. Et dans la même dynamique, notre processus démocratique gagnerait en maturité en se saisissant de cette crise pour renégocier un nouveau contrat social entre gouvernants et gouvernés. Ce renouveau démocratique passe non seulement par la construction de nouvelles règles de gestion du pouvoir d’Etat, mais aussi par la mise en place d’institutions nationales et locales légitimes et surtout à l’écoute des populations.
Ouagadougou le 7 novembre 2014
Raogo Antoine SAWADOGO
Président du Laboratoire Citoyennetés
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